La chance de la morale et les dilemmes du jugement | Facing History & Ourselves
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La chance de la morale et les dilemmes du jugement

Réfléchissez aux défis posés par les jugements moraux sur les actions des acteurs du passé.  
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  • Droits humains, droits civiques
  • Histoire de la Shoah

Le récit de Guido Calabresi de quatre personnes qui ont pris des décisions surprenantes pendant la Seconde Guerre mondiale (voir la leçon « Des choix qui nous définissent ») révèle à quel point il peut être difficile de juger les décisions complexes et souvent imprévisibles prises par autrui. Les historiens et les philosophes ont également réfléchi aux défis que représente le fait de porter un jugement moral sur les actions des autres, en particulier les actions passées. 

Un article de 2013 de BBC Magazine pose la question : « Faut-il juger les gens du passé pour des défauts moraux ? » Suite de l’article : 

L’évaluation des attitudes et des comportements du passé est pour nous un casse-tête. Ce que nous pourrions considérer comme offensant aujourd’hui : sexiste, raciste ou homophobe par exemple, aurait pu être alors l’orthodoxie [accepté comme la normalité]. 

Un relativiste moral dirait que nos valeurs d’aujourd’hui ne peuvent être comparées aux valeurs d’une autre époque. Ce qui était bon pour eux était bon pour eux. Ce qui est bon pour nous l’est pour nous. 

La philosophe Miranda Fricker n’est pas une relativiste morale, mais elle pense que le critère de la culpabilité consiste à savoir si la personne aurait pu comprendre d’une façon différente. « Les normes selon lesquelles juger les gens sont les meilleures qui étaient à leur disposition à l’époque. » 

Il est injuste de blâmer les gens de ne pas être des pionniers de la morale, dit-elle. « Les blâmer présuppose que la personne aurait pu mieux agir. » 

Mais si nous ne pouvons pas blâmer les gens pour des opinions abominables, cela signifie-t-il également que nous ne pouvons pas les tenir responsables de ces opinions ? 1  

Miranda Fricker suggère que les idées des gens sur le bien et le mal sont largement influencées par leur environnement. Les individus peuvent-ils être tenus responsables des croyances et des actions qui sont déterminées davantage par la situation de ces individus que par leur propre choix ? En étudiant cette question, les philosophes ont écrit sur un concept appelé « chance de la morale ». Le philosophe Peter Levine explique ainsi l’argument de la chance sur la responsabilité morale :

Il est très peu probable que je devienne nazi, car je suis né d’un père juif aux États-Unis des décennies après la Seconde Guerre mondiale. Mais si j’étais né allemand « goy » [non-juif] en 1910, j’aurais probablement appuyé les nazis en 1939, comme l’étaient la plupart. Si j’étais né esclave en Virginie en 1850, je me serais opposé avec force à l’esclavage, mais si j’étais né d’un esclavagiste blanc à cette époque, je l’aurais soutenu tout comme ma collectivité et ma culture. Je suis donc moralement chanceux d’être aujourd’hui opposé à l’esclavage et au nazisme, mais je suis moralement malchanceux d’avoir toutes sortes d’œillères que je ne reconnais pas. 2  

Mais l’idée de « chance de la morale » ne diminue pas nécessairement la responsabilité des personnes qui ont mal agi dans le passé. Pour certains philosophes, le critère consiste à savoir si, dans le passé, certaines personnes en savaient plus. En d’autres termes, l’existence d’abolitionnistes (personnes opposées à l’esclavage) aux États-Unis dans les années 1850 et de résistants au nazisme dans les années 1930 et 1940 montre qu’il était possible pour les individus de reconnaître l’immoralité ou le mal absolu de l’esclavage et du national-socialisme. D’autres vont plus loin, affirmant qu’il existe des normes universelles du bien et de mal, que tout le monde devrait être tenu de connaître, quelles que soient ses circonstances. La juriste Martha Minow écrit : « Par toute mesure de la décence humaine, les efforts des nazis pour exterminer le peuple juif d’Europe, les minorités ethniques, les homosexuels, les personnes handicapées, les gitans et les opposants politiques ont manifestement violé toute notion de devoir, de caractère raisonnable ou d’équité. » 3 Selon ces opinions, des gens comme les responsables esclavagistes et nazis sont par conséquent responsables de leurs convictions et de leurs actions, même si elles étaient majoritaires. Ils auraient pu et auraient dû être mieux informés. 

L’article de la BBC sur le jugement des choses passées examine ensuite comment des personnes vivant aujourd’hui pourraient être jugées pour leurs choix moraux par ceux qui nous succéderont : 

Il se pourrait bien que les jeunes ou les personnes d’âge moyen d’aujourd’hui, dans les décennies à venir, reviennent sur leurs opinions et se sentent horrifiés et honteux. Et tout comme nous jugeons [un siècle antérieur] et identifions ses défauts moraux, il est inévitable que les gens du XXIIIe siècle relèvent des défauts dans le nôtre, le XXIe... 

Pour quoi nos descendants pourraient-ils nous condamner ? Si suffisamment d’entre-nous connaissons la réponse à cette question aujourd’hui, nous n’avons vraiment aucune excuse pour ne pas agir. 4

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— Claudia Bautista, Santa Monica, Calif