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Des choix qui nous définissent

Explorez trois histoires de choix faits par certaines personnes pendant la Seconde Guerre mondiale et examinez leur complexité, leur impact et ce qu’ils peuvent enseigner sur le comportement humain.  
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  • Droits humains, droits civiques
  • Histoire de la Shoah

Guido Calabresi, alors doyen de la Yale Law School, prononce en 1988 un discours de remise des diplômes dans lequel il rapporte le récit de quatre individus et des choix qu’ils ont faits pendant la Seconde Guerre mondiale. Les récits rapportés par Guido Calabresi révèlent la complexité du comportement humain, et suggèrent que porter un jugement définitif sur le bien et le mal peut être difficile.

Quand j’étais enfant [en Italie], je me demandais si j’aurais eu le courage de prendre le genre de décisions que mon père avait prises. Mon père est devenu un antifasciste extrêmement actif et, en raison de cette prise de position, il a dû quitter l’Italie et nous avons dû nous installer ici et recommencer à zéro. Mais la décision d’abandonner une vie confortable pour une vie d’activiste, de révolutionnaire, puisque c’est ce qu’il était, m’a toujours intriguée ; même si c’était le plus doux des révolutionnaires, venant d’un des milieux les plus traditionnels. Je me demandais comment il avait fait, et un jour, je lui en ai parlé. Il m’a dit : « Tout le monde parle de la banalité du mal, mais très peu de gens parlent de la banalité du bien. Comment suis-je devenu activiste antifasciste ? Être antifasciste est relativement facile. Ce qu’ils faisaient était mal, mais tu me demandes comment je suis devenu militant ? » 

Alors qu’il était étudiant, le père de Guido Calabresi a été battu et emprisonné pour ne pas avoir applaudi après un discours prononcé dans son université par le ministre fasciste de l’éducation. G. Calabresi rapporte, [Mon père] soupira et dit : « J’avais 21 ans ; si j’avais su que le fait de ne pas applaudir me causerait des ennuis, peut-être serais-je resté chez moi. Mais j’étais là et je n’avais pas encore applaudi, puis on m’a dit que j’étais obligé d’applaudir : non, du haut de mes 21 ans, je ne pouvais pas applaudir... Après cela, ma décision était prise. Je n’allais pas être un antifasciste silencieux. Ça m’avait tout simplement marqué pour la vie. » C’était un non-choix alors, mais pourtant une décision essentielle qui a changé sa vie.

Le deuxième récit de Guido Calabresi évoque des faits qui ont aussi eu lieu en Italie pendant la Deuxième Guerre. Un de ses cousins, comme il était juif, s’était alors caché dans une famille catholique avec sa femme et ses enfants : 

Leur aîné avait 4 ans à l’époque et chacun avait pris des noms d’emprunt. Quelque temps après, la villa où ils vivaient fut réquisitionnée pour loger des soldats allemands, et le capitaine à la tête de ces soldats s’avéra une personne parfaitement sinistre. Il essayait de voler des objets. Il insultait le cousin de mon père pensant qu’il était déserteur et que c’était la raison de sa présence là-bas. Il se comportait en toute situation de façon épouvantable, un personnage si effroyable que certains soirs, il se saoulait et tentait de pénétrer par effraction par la porte de la chambre où la belle-sœur de mon cousin dormait, dans le but de la violer ; et seule l’arrivée d’autres personnes l’en avait alors empêché. Un homme affreux à tous les niveaux, du moins c’est ce qu’il semblait... Un jour, alors que le fils de mon cousin jouait près de la villa, le capitaine allemand l’appela par son prénom supposé, mais l’enfant oubliant alors sa nouvelle identité ne répondit pas. Le capitaine allemand l’appela à nouveau et l’enfant ne répondit toujours pas. Le gradé s’approcha alors de lui et lui dit : « Ça n’est pas ton vrai prénom, n’est-ce pas ? » Le petit garçon prit peur et répondit que non. Le capitaine lui dit alors : « Ce n’est pas ton vrai prénom parce que toi et ta famille êtes juifs et que vous portez un faux nom ». Le petit garçon acquiesce et part se réfugier dans la maison pour raconter à ses parents ce qui est arrivé. Un silence tragique et effrayant s’ensuit alors qu’ils attendent, sachant qu’ils ne peuvent s’enfuir et qu’ils supposent qu’on va les emmener sous peu. Mais ils réalisent petit à petit que rien ne se passe. En effet, la seule chose qui arrive, c’est que le capitaine allemand commence à être un peu plus gentil avec mon cousin, se rendant compte qu’il n’était pas déserteur, mais qu’il était là pour d’autres raisons. Donc, cet homme horrible a en quelque sorte fait un choix, il décide de ne pas dénoncer ces gens. Une décision prise au péril de sa propre vie parce que si l’un de ses soldats avait entendu ce qu’il disait, entendu la conversation avec le petit garçon comme ça aurait pu être probablement le cas, et l’avait dénoncé, il serait mort. Ce choix n’a pas changé cet homme, il a continué à se saouler, il a continué à voler, il a continué à essayer de rentrer par effraction dans la chambre de la belle-sœur et pourtant, c’était une décision, un choix tout à fait extraordinaire.

Le troisième récit est celui d’un fermier qui vivait sur des terres appartenant à la famille de Guido Calabresi, en Italie : 

Il avait la réputation d’avoir caché au péril de sa vie pendant la guerre des militaires alliés pris au piège derrière les lignes allemandes et qui essayaient de s’échapper. Des Juifs qui fuyaient les nazis. Toute sorte de gens du « bon côté » de ce conflit, et qui étaient en difficulté. Mais il avait aussi la réputation, au moment où le vent a tourné en 1944- 1945, d’avoir caché des Allemands qui s’enfuyaient. Ce n’était alors pas au péril de sa vie, mais quand ils se sont présentés à lui, il les a également cachés. Je suis allé le voir, parce que j’étais très jeune, et que je trouvais cela terrible : que c’était peut-être quelqu’un qui ne faisait pas la différence entre le bien et le mal, ne sachant pas faire la distinction entre cacher des gens qui le méritaient et cacher des criminels. Ma vocation d’avocat qui se précisait, je suppose. Donc, quand je suis allé le voir, je lui ai posé la question et il m’a dit : « La politique... ha... la politique ! Je n’y connais rien. Je ne sais rien de ces choses-là. Elles n’ont aucune importance pour moi. Quand ils sont arrivés ici, qu’ils s’enfuyaient, chacun d’eux avait des ennuis. “ Eran tutti figli di mamma ” : ils étaient tous l’enfant d’une maman quelque part. “ Tiriamo a campare ” : la vie est une lutte pour tous. »

Le dernier récit de Guido Calabresi est celui d’Hugo Black, le juge de la Cour suprême des États-Unis qui a confirmé la décision d’emprisonner des centaines de milliers de personnes d’origine japonaise dans des camps d’internement aux États-Unis pendant la Seconde Guerre mondiale : 

La personne qui a rédigé l’avis confirmant ce programme s’appelait Hugo Black, le juge Black, pour lequel j’ai été greffier à la Cour suprême. Une personne que beaucoup d’entre vous estiment être un héros, un grand défenseur des droits civils, une personne qui a été du bon côté sur presque toutes les causes. Quand j’étais greffier, je lui ai posé des questions à ce sujet et il m’a répondu : « Eh bien, c’était la guerre et les militaires disaient que c’était nécessaire. Il y avait toute sorte de raisons pour lesquelles c’était important, et tous mes greffiers me disent aujourd’hui que j’ai eu tort à l’époque, sans savoir vraiment ce qui s’est passé. » Puis il a ajouté : « D’autre part, savez-vous que les autres personnes en faveur de cette décision étaient Earl Warren, devenu ensuite président de la Cour suprême, et qui soutenait alors le programme en tant que procureur général de Californie, et même Franklin Roosevelt qui l’appuyait pleinement ? » Il fallait donc faire des choix terribles, des décisions terribles prises par des gens bien.

G. Calabresi conclut : 

Un non-choix par une personne honnête, une décision dramatique par une personne diabolique, une décision merveilleuse et troublante par une personne qui ne pense pas du tout qu’il s’agit d’un choix, et une décision funeste par des gens bien... Je pourrais tirer de ces récits de nombreuses variantes, mais je suppose que j’aimerais vous laisser avec une réflexion unique. Dans l’une de ces histoires, une personne mauvaise fait un très bon choix et nous devons nous en souvenir, à la fois lorsque nous voyons quelqu’un que nous considérons comme mauvais, mais aussi lorsque nous pensons l’être nous-mêmes… Mais, et c’est plus important encore, certaines personnes extraordinairement bonnes pouvant prendre une décision catastrophique, et c’est sur cela que je me concentrerais. Ce n’est pas que nous considérons Black, Warren & Roosevelt comme bons à tort. La tentation immédiate est de dire que s’ils ont fait ce choix, quelque chose d’autre devait clocher chez eux. Ils devaient être mauvais d’une façon ou d’une autre. 

Mais je ne pense pas. Si nous faisons cela, nous nous dérobons. Nous disons que ces actions sont celles d’autres personnes. Je pense plutôt que nous sommes tous, aussi bien vous que moi, sujets à la négligence et à l’insouciance. Aussi bien vous que moi, nous applaudissons parfois alors que nous ne devrions pas le faire. Ou même, à des moments dramatiques, tout comme Black et les autres, nous nous méprenons en suivant ce qui semble être, à juste titre, une décision terrible. Aucune de ces décisions terribles que nous prendrons ne fera de nous nécessairement une mauvaise personne. Et pourtant, avec le temps, ces choix nous définiront… 1

 

  • 1Guido Calabresi, « 70e discours de remise des diplômes », discours prononcé au Connecticut College, le 1er mai 1988, disponible sur Digital Commons au Connecticut College, accessible le 24 juin 2016. Reproduit avec l’aimable autorisation du juge Guido Calabresi et du Connecticut College.

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— Gabriela Calderon-Espinal, Bay Shore, NY